La publication récente d’un case report sur le décollement de la rétine et son diagnostic par échographie aux Urgences par un confrère d’outre Sarine, et l’utilisation de l’ultrason de façon régulière au sein de nos Urgences, m’a poussé à revoir la littérature, et résumer l’ensemble des connaissances/évidences à ce jour. Un grand merci donc à Dr Speidel et son équipe, au Dr Ryan LaFollete, ainsi qu’au Dr Haab (1850 – ✞ 1931) pour son illustration.
Quelques rappels d’anatomie
Logé dans une structure membraneuse entouré de tissu adipeux (la capsule ou gaine de Tenon), la partie « externe » de l’œil, exposée aux éléments, se nomme Tunique externe, et est composée d’une sclère (ou sclérotique, en français) et d’une cornée (continuation de la sclère), membrane transparente bombée permettant le passage de la lumière ; le tout est, recouvert d’une conjonctive, muqueuse protectrice lubrifiant l’ensemble. S’en suit la Tunique moyenne, composée de la choroïde (membrane vascularisée a fonction nutritive et opaque, empêchant l’entrée des rayons lumineux par la pupille), de l’iris, de la pupille (continuation du système permettant l’entrée de lumière), des corps ciliaires et du cristallin. Enfin, la Tunique interne regroupe quand a-t-elle la rétine, la macula (avec la fovéa – deux zones spécifiques à la vision), la papille (regroupement des fibres rétiniennes, pour former le nerf optique) et le nerf optique. L’ensemble de ces structures est résumé dans la Figure 1.
Approche aux problèmes oculaires
Comme pour toute prise en charge médicale, notre travail commence par l’anamnèse. Tel le E du « SAMPLE », il nous est important d’élucider « what happened before, » mais également « during » et « after ». Pour toute pathologie oculaire, après exclusion d’une atteinte traumatique, il est important d’obtenir une anamnèse complète, notamment s’il y a eu un prodrome, des douleurs concomitante (même si atraumatique), la présence de halo, de « floaters », la perte soudaine de vision, ou encore la présence de nausée ou vomissement, qui nous nous aiderons dans notre approche. Un corps étranger, par exemple, est un diagnostic simple, mais peut cacher d’autres lésions que seul une anamnèse nous poussera à investiguer (qui n’a jamais frotter vigoureusement son œil après qu’un cil s’y soit faufilé ?
Traditionnellement, l’approche urgentiste se divisait en deux options, avec toute atteinte de la partie antérieur (conjonctive, cornée, chambre antérieur et lentille) investiguée par lampe a fente, et toute atteinte postérieure investiguée par US. Avec des spécificités et sensitivités excellentes (ex. 94.2% sensible et 96.3% spécifique pour le diagnostic d’un détachement rétinien, si fait par urgentiste (1)), l’US est désormais l’outil de choix pour toute atteinte à l’œil « interne », que ceci soit dans l’antérieur ou postérieur, en plus d’être recommande pour les traumatisme crânien et céphalées (2). Dans tous les cas, nous recommandons en plus un examen de l’acuité visuelle, et par lampe a fente, afin d’obtenir une vue directe et un examen complet de la partie externe de l’œil (si possible – CAVE traumatisme).
Avant de se plonger dans les différentes coupes et pathologies, je vous propose maintenant une brève présentation de la technique, et de quelques rappels de base (sur l’ultrason).
Technique de l’ultrason oculaire
L’ultrason a l’avantage d’être indolore, mais ceci dépendra de la manière dont vous obtenez vos images ! Avant toute chose, assurez-vous que votre matériel est prêt ; pour cet examen, il vous faut :
- Un ultrason (branché ou avec suffisamment de recharge)
- La sonde linéaire (7.5 – 15 MHz) connectée et prête
- Des Tegaderm™
- Du gel (suffisamment)
- Un environnement calme
- Le bon patient, en décubitus dorsal/supin
Rien n’est en effet pire que de devoir courir après du matériel, alors que l’examen a commencé !
Après avoir expliqué votre geste, apposez le Tegaderm™
sur l’œil (fermé) du patient et appliqué généreusement du gel (généreusement
n’est pas un sous-entendu : plus la dose y est, moins il vous faudra
appliquer de pression). En parlant de pression : le risque de lésion
secondaire existe ; votre main reposera donc en premier lieu sur une autre
partie du visage (le nez par exemple), en essayant d’éviter un contact entre
votre sonde et la paupière. De plus, il est conseillé d’éviter un examen US
pour toute suspicion de lésion du globe, le patient devant rapidement être
référé à un ophtalmologue pour suite de PeC (« don’t touch it if it’s
open »). Enfin, une coupe dans les 2 axes est requise, et évitera des
images construites (3)
Diagnostiques
- Décollement de la rétine (DR)
A priori unilatérale, et pouvant être permanent si non-traite, le détachement rétinien correspond à la séparation de la rétine de la choroïde. Les patients rapportent des floaters ainsi que les flashs lumineux, ou la sensation d’un Rideau descendant (rideau de scène tombant) (4). Les facteurs de risques sont le glaucome, des interventions chirurgicales de la cataractes, une myopie sévère, une hyperTA peu contrôlée ou encore un TC récent. A l’US (sensitivité de 97% si geste fait par Urgentiste (5)), on observa la présence d’un “serpent” hyperéchogène émanent d’un côté du nerf optique. Cette unilatéralité est clé à différencier la rétine d’un détachement du vitreux postérieur, la rétine émanant comme continuation du nerf, de part et d’autre du nerf. Lors de votre examen, demandez au patient de regarder à droite/gauche (amplifier le mouvement du “serpent”, et assurez-vous d’identifier toute potentielle lésion (biais de diversion).
- Décollement postérieur du vitré (DPV)
Se développant de façon atraumatique (en règle générale) avec l’âge (2/3 des plus de 65 ans présente un dégrée de DPV (6). Tout comme le DR, les patients rapportent souvent des floaters, ainsi que des flashs lumineux, particulièrement du coté temporal. La membrane se séparant de l’œil postérieur, et n’étant pas lien avec le nerf, a l’US, un “serpent” peut également être visible, mais ce-dernier ne sera pas attache à l’arrière de l’œil, et ondulera sans unilatéralité par rapport au nerf optique.
- Hémorragie du vitré (HV)
La conséquence de l’extravasation de sang dans l’humeur vitrée [substance transparente et gélatineuse, occupant ca. 2/3 du globe), l’hémorragie du vitré (HV) peut être traumatique ou atraumatique, avec la rétinopathie diabétique la cause la plus fréquente d’une HV d’origine atraumatique. Tout comme le DR et le DPV, les patients peuvent rapporter des floaters ou encore une cécité visuelle, qui corrèle avec la sévérité de l’hémorragie. A l’US, lors du mouvement de l’œil
- Occlusion de l’artère centrale de la rétine
Résultant en une ischémie de la rétine, l’occlusion de l’artère central de la rétine est associée à une athérosclérose, ou encore micro-emboles, et résulte en une cécité visuelle monoculaire sans douleur. A l’US, au doppler, le flux est réduit dans la partie centrale de l’œil (identifier en premier lieu le nerf optique) avec présence occasionnelle d’un thrombus hyperéchogène au centre du nerf optique. Éventuellement, l’ischémie peut mener à un œdème (diamètre du nerf optique >5mm a 3mm de son insertion – voir ci-dessous) (7)
Cécité visuelle avec douleur
- Corps étranger
Pouvant être douloureux (mais occasionnellement non), un corps étranger peut être responsable d’une perte de vision. Souvent rapporter après un travail manuel, le CE, dépendant de sa vitesse de propulsion, peut même pénétrer l’orbite, avec le site d’entrée pouvant se refermer sur lui-même ; des lors, cette lésion n’est plus visible, rendant l’examen externe (avec fluorescéine) caduc (8). Typiquement hyperéchogène, le CE est facilement identifiable à l’US (également au CT), avec l’avantage que le POCUS permet également de visualiser une hémorragie du vitré (CAVE : examen seulement réalisable si lésion oculaire fermée).
- Glaucome aigu à angle fermé (GAAF)
Urgences ophtalmique véritable (dans le sens qu’il faut agir rapidement), le GAAF est due à un problème de drainage de l’humeur aqueuse de la chambre antérieur. Les symptômes “typiques” sont une cécité visuelle avec douleur associées, ainsi que nausées et vomissements ; des halos peuvent également être perçu. Présents à l’examen, une conjonctive érythémateuse, avec pupille fixe, partiellement dilatée. La pression intraoculaire à la tonométrie sera >30mmHg, avec à l’US (9) une distance entre l’iris et la cornée réduite par rapport à l’œil “sain” (une distance <2mm pointe vers ce Dx) – cf. Figure 2
- Dislocation de la lentille
Résultant en majorité d’une augmentation de la pression intraoculaire (en majorité d’un traumatisme) (10), la dislocation de lentille est prétéritée chez les Marfaniques ainsi que chez les patient atteints d’Homocystinurie, et peut être secondaire a des maladies inflammatoires chroniques comme l’uvéite. La lentille peut se placer en antérieur ou postérieur, de sa position originale, et se visualise facilement avec l’US, et ne pas oublier de regarder pour une hémorragie du vitré ou autre pathologie sous-jacente.
Hypertension intracrânienne
Enfin, pour conclure, une dernière indication a l’US oculaire est dans le cadre d’une éventuelle augmentation de la pression intracrânienne (PIC) (ex. tumeur, hémorragie, hydrocéphalie, pseudotumor cerebri, etc.). Les signes cliniques se résume à l’étiologie, mais sont en général des céphalées, des N/V, un GCS modifie, des troubles de l’acuité visuelle. Traditionnellement mesurée par capteur transcrânien, l’US permet une mesure non invasive (8) de la PIC, grâce à la mesure du diamètre du nerf optique a 3mm de son insertion dans le globe, >5mm étant corrélé avec une PIC > 20mmHg (11). Il est important de mesure des deux côtes (en général, la PIC résulte en une augmentation symétrique du diamètre), une augmentation unilatérale du diamètre d’un côté évoquant en premier lieu une neuronite optique.
Les Figure 3 et 4, tirées du blog TamingtheSRU, résumemt l’ensemble de ces indication
Citer le post : E P Heymann. « POCUS of the eye: l’ultrason (aux Urgences) dans toute sa splendleur». ABCmed blog. 20 Janvier 2021. Disponible sur https://www.abcmed.ch/ultrason-occulaire/ |
Bibliographie
1. Gottlieb M, Holladay D, Peksa GD. Point-of-Care Ocular Ultrasound for the Diagnosis of Retinal Detachment: A Systematic Review and Meta-Analysis. Acad Emerg Med Off J Soc Acad Emerg Med. 2019 Aug;26(8):931–9.
2. Bates A, Goett HJ. Ocular Ultrasound. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2020 [cited 2021 Jan 20]. Available from: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK459120/
3. Roque PJ, Hatch N, Barr L, Wu TS. Bedside ocular ultrasound. Crit Care Clin. 2014 Apr;30(2):227–41, v.
4. Fraser S, Steel D. Retinal detachment. BMJ Clin Evid. 2010 Nov 24;2010.
5. Lahham S, Shniter I, Thompson M, Le D, Chadha T, Mailhot T, et al. Point-of-Care Ultrasonography in the Diagnosis of Retinal Detachment, Vitreous Hemorrhage, and Vitreous Detachment in the Emergency Department. JAMA Netw Open. 2019 Apr 12;2(4):e192162–e192162.
6. Schwab C, Ivastinovic D, Borkenstein A, Lackner E-M, Wedrich A, Velikay-Parel M. Prevalence of early and late stages of physiologic PVD in emmetropic elderly population. Acta Ophthalmol (Copenh). 2012 May;90(3):e179-184.
7. Riccardi A, Siniscalchi C, Lerza R. Embolic Central Retinal Artery Occlusion Detected with Point-of-care Ultrasonography in the Emergency Department. J Emerg Med. 2016 Apr;50(4):e183-185.
8. Mallin M, Dawson M. Introduction to Bedside Ultrasound: Volume 1. 2013.
9. Rose J, Cuevas D, Dawson M. Diagnosis at a Glance: Bedside Ultrasound Diagnosis of Acute Angle Closure Glaucoma. Emerg Med. 2016;48(3):131–2.
10. Wang M, Gao Y, Li R, Wang S. Monocular lens dislocation due to vomiting-a case report. BMC Ophthalmol. 2018 Jan 8;18(1):3.
11. Aspide R, Bertolini G, Albini Riccioli L, Mazzatenta D, Palandri G, Biasucci DG. A Proposal for a New Protocol for Sonographic Assessment of the Optic Nerve Sheath Diameter: The CLOSED Protocol. Neurocrit Care. 2020 Feb;32(1):327–32.