Lors d’une récente revue de la littérature en vue de l’introduction de notre checklist d’intubation, je suis tombé sur une récente étude prospective multi-centre par l’équipe de Casey et al renforçant l’utilité d’une ventilation péri-induction. Et si un nouveau dogme venait à tomber ? La ventilation post-induction pré-intubation aurait-elle été injustement bannie du processus ? Nous allons ici revoir l’évidence jusqu’à ce jour, puis nous discuterons d’une approche standardisée pour l’intubation aux Urgences, chez des patients qui, vous le verrez, présentent des difficultés rarement retrouvé au bloc OP ou encore aux SI. Pour un des seuls centres d’Urgences en Suisse ou l’intubation se fait par les urgentistes, cette déviation du standard intrahospitalier n’est-elle pas un peu osée ?
Avant toute chose, un grand merci à l’équipe de Casey et al ainsi qu’a Josh Farkas qui ont motivé cette recherche de physiologie en FOAMed. Et bien évidemment merci à Biomedical Ephemera pour l’illustration!
Dans leur étude intitulé Bag-Mask Ventilation during Tracheal Intubation of Critically Ill Adults paru dans le NEJM en Février (2019), Casey et al se penchent sur le dogme de la ventilation peri-intubation. Dogme en effet car en lisant l’introduction à cet article, certains d’entre vous crieront à l’imposteur : en effet il semble être accepté qu’une ventilation péri-intubation augmente le risque de bronchoaspiration et que ce risque est inacceptable (cf. John Hinds et son Cricolol). Ceci n’est pas tout a fait faux : en effet, en ventilant au masque un patient sous narcose, il existe un risque d’insuffle l’œsophage et ceci peut mener vers une bronchoaspiration. Néanmoins en maintenant une pression maximale (peak pressure) a <20cm H20, il a été démontré (Bouvet 2014, Joffe 2010) qu’un œsophage « normal
n’est en réalité pas insufflé. Dans leur étude, Casey et al ont cherché non seulement à confirmer cette absence de bronchoaspiration et (en premier lieu) également chercher à démontrer qu’une ventilation péri-intubation est en réalité bénéfique au patient. Pour se faire, les auteurs ont comparé un groupe de patients ayant bénéficié d’une ventilation par BAVU (connecte a une valve PEEP a 5-10 cm) a 4 mains en FR 10/min avec adjuncts au besoin (Wendel/Gueudl) [et avec un VT déterminé par amplitude de mouvement thoracique) a un groupe de patients qui n’ont pas bénéficié de ventilation péri-induction (critères d’exclusion : haute suspicion clinique de désaturation ou aspiration). Cette étude porte sur 401 patients de Soins Intensifs, chez qui la première indication a l’intubation était une insuffisance respiratoire (ca. 80%).
Avec un first-pass intubation de 82%, les résultats parlent pour eux-mêmes, avec (entre autre) une désaturation <90% présente chez 40.1% des patients non-ventilés ( vs 29.5% chez les ventilés, statistiquement significatifs) et <70% chez 10.2% des non-ventiles (vs. 4.1%). De plus, les complications péri- et post-gestes étaient également réduite chez les patients ventilés en péri-induction (aspiration, hypoTA, nécessite de Vasopresseurs, etc.). Ci-dessous, le résumé des outcomes de l’étude
Notons plusieurs limitations à cette étude :
– La ventilation au masque, même à 4-mains, est opérateur dépendant sans possibilité de contrôle du TidalVolume (rappel : amplitude thoracique) ou encore du % de fuite.
– Le groupe non-ventilé a pu bénéficier de BiPaP/HFNC comme méthode de pré-oxygénation vs BAVU pur pour le groupe “ventilé. Ceci s’est traduit par une saturation moyenne plus basse pour le groupe au BAVU stricte (groupe « ventilé » – cf. Tableau 2 de l’étude)
– Durant la phase apnéique, 100% des patient “ventilés” ont bénéficiés d’oxygénation apnéique vs seulement 77% dans le groupe non-ventilés, hors l’oxygénation apnéique a déjà été prouvée bénéfique
Application en médecine d’urgence/critical care
Les résultats de cette étude sont-ils extrapolables à la médecine d’Urgence ? Faut-il des lors ventiler tous les patients nécessitant une IOT, en péri-intubation, aux Urgences, chez une population de patient qui par définition sont moins “préparés” à une intubation que les patients aux SI ou encore au bloc OP. Les physiologistes parmi vous me diront : « attend attend, la ventilation dans l’intubation, ça ne sert à rien » (contrairement à ceux d’entre vous qui diriez que c’est trop dangereux). Et vous, physiologistes, auriez potentiellement raison : ce n’est pas la ventilation que l’on recherche(!). C’est l’oxygénation !
En effet, si vous mettez un patient X en apnée, que se passe-t-il ? Si l’on revoit l’étude THRIVE (Gustafsson et al, 2017), mettre quelqu’un en apnée équivaut à augmenter la pCO2 de ca. 2 mmHg par minute (et donc déplacent peu de O2 de l’Hb). Une intubation correspond en moyenne a un temps d’apnée est d’environ 2 minute (induction -> laryngoscopie -> 1st pass -> ventilation) et résulterait dès lors en seulement 4mmHg de pCO2 augmenté. Chez la plupart des patients, ceci n’aurait en réalité que peu de répercussion (CAVE acidose sévère, hypertension pulmonaire). Comment donc expliquer que la ventilation décrit par Casey et al a eu un effet bénéfique sur la désaturation (et les autres outcomes) lors de l’intubation ? En réalité, les bénéfices sont probablement dus à la pression moyenne intra-pulmonaire pendant l’intubation…
Rappels physiologiques
Les poumons servent de réservoir a oxygène. Lors de la pré-oxygénation, de l’O2 a 100% est administré au patient afin de dé-nitrogéniser les réserves poumons (ca. 79% de l’air ambient, d’où la fameuse FiO2 de 21% de l’AA). Dès l’apnée, soit l’arrêt des mouvements inspiro-expiratoire, la concentration en oxygène diminue progressivement (échange O2-CO2 au niveau alvéolaire) et éventuellement une désaturation est observée. Le temps nécessaire pour cette désaturation dépend de plusieurs facteurs, et se résume par le graphique ci-dessous. L’oxygénation apnéique peut être utilisée pour maintenir un apport d’oxygène “indéfiniment” durant la laryngoscopie.
Cette théorie physiologique est valide pour le monde du bloc OP et fonctionne très bien pour des patients « préparés » a l’AG. En médecine d’urgence, l’intubation élective n’existe pas, et la physiologie de base des patients est modifié, et une désaturation a généralement lieu dès les premières 1-2 min. Pourquoi ? Avec une consommation d’environ 250ml/min, et une capacité pulmonaire de ca. 4000ml, l’adulte « standard » devrait pouvoir tenir >10 min sans désaturer. En réalité, la réponse a cette désaturation rapide repose dans le principe de shunting, et ceci est particulièrement vrai pour les patients avec une décompensation respiratoire (étiologie principale a l’intubation aux Urgences)
Un graphique de l’étude de Peterson et al (2014, 2) décrit clairement le mécanisme en question : un simple collapsus de 25% du poumon (ex. atelectase, pneumonie, diminution du surfactant, obésité..) entrainerait un shunt (mismatch V/Q ) de ca. 25%, ce qui résulterait en une réduction de l’oxygénation et des lors une désaturation (rappeler vous de la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine…), et ce même si une FiO2 élevée est apportée. La solution ? Réduire ce collapsus, en apportant de la pression positive (cf. Casey et al.
Pour les FOAMers d’entre vous, ce principe de pression devrait vous rappeler un certain concept de Delayed Séquence Intubation (DSI) rendu fameux par Scott Weingart et son équipe a EMCRIT (4). Néanmoins j’argumenterais qu’il faudrait pousser encore plus que ce concept (dans le protocole DSI, la pression est maintenu pour la durée de la preoxygenation), et qu’il serait bénéfique de maintenir cette pression durant toute la durée de l’induction/intubation (sauf la laryngoscopie, ou le masque doit être retiré !). En maintenant une pression intra-pulmonaire, les poumons sont maintenus “ouvert” (cf. vidéo ci-dessous).
CAVE Afin de diminuer le risque d’aspiration (et d’insufflation de l’estomac), il faut à tout prix éviter une pression trop élevée, et ceci peut être réalisé en évitant de trop grand volume (TV), qui a pour effet d’augmenter la peak pressure.
Proposition de protocole pour l’intubation aux Urgences
Avec un BAVU et valve de PEEP seul :
A défaut de posséder un ventilateur moderne à disposition (qui permettrait de passer de VNI a mode de ventilation “invasive” une fois le patient intubé), la solution peut être de pré -oxygener le patient comme décrit par Casey et al. (bas TV, PEEP maintenu à 5-10cmH20 avec un BAVU, une valve de PEEP, et ventilation a 4 mains en cherchant à éviter les fuites).
Dés apnée :
– Si le risque de bronchoaspiration est haut (hémorragie digestive, distension gastrique, pathologie gastro-intestinale) : maintenir le masque serré (en cherchant à éviter les fuites), lunettes à 10-15L en plus/sous le masque (pour faciliter l’oxygénation apnéique) sans ventilation manuelle (principe de la CPAP sans ventilation). Le masque est retiré seulement pour la laryngoscopie.
– Si le risque de bronchoaspiration est faible, une ventilation manuelle au ballon avec petit volume (TV bas) peut être initiée à 10/min lors du début de l’apnée (CAVE peak pressure <20 cmH20) ; ad lunettes à 10-15L en plus/sous le masque de VNI (pour faciliter l’oxygénation apnéique). Le masque de VNI est retiré seulement pour la laryngoscopie.
Dès l’intubation, une PEEP a 5 minimum doit être intégrée aux paramètres ventilatoires afin de recruter les poumons et diminuer les effet cardio/hémodynamique secondaire aux changements de pression intrathoracique.
Ce protocole serait idéal pour un département d’urgence ou un ventilateur n’est pas disponible ; au sein de notre département, il serait idéal pour nos équipes de préhospitalier, en vue de l’absence (temporaire) de ventilateur dans nos véhicules SMUR.
Avec une VNI :
La plupart des ventilateurs modernes (et même le fameux « monstre orange » l’Oxylog 3000) permettent de passer rapidement d’un mode ventilatoire a un autre et meme de controler la frequence respiratoire lors d’apnées (insufler des volumes au patient) en mode VNI (mode S/T pour « Spontaneous/Timed »). Des lors, si le patient le tolère (sic adjunct de Ketamine), une VNI en mode S/T permet d’obtenir une preoxygenation adéquate, avec une PEEP au minimum à 5 (selon tolérance). En laissant le masque jusqu’à l’apnée, la pression pulmonaire est maintenue.
Dès l’apnée, le mode S/T assure une ventilation minimum en insufflant des volumes a une fréquence pré-réglée. Pour les réglages, il faut déterminer quel type de patient nous avons :
– Si l’on souhaite maximiser l’oxygénation (patient très hypoxémique, shunting, etc), le focus doit être sur le maintien d’une pression pulmonaire haute (sans dépasser les 15cmH2), et non pas sur le volume à chaque inspiration. Il est des lors recommandé de diminuer la driving pressure pour éviter les variations de recrutement : un réglage de 15/10 est idéal
– Si l’on souhaite maximiser la ventilation (ex. un patient en ketoacidose, qui respire rapidement car son objectif est de compenser de son acidose par tous les moyens), et il est dès lors intéressant d’avoir un grand driving pressure, qui assurera un plus grand VT : un réglage a 15/5 (voir 15/0 selon certains) est recommandé
Afin d’améliorer le recrutement, il faut chercher a maximiser la pression transpulmonaire tout en maintenant la peak pressure <15cmH20 (cf. John Farkas). Une des façon d’obtenir une haute pression transpulmonaire (entre autres) est de jouer avec la fréquence respiratoire dans le mode S/T du ventilateur, ou de maximiser le temps en inspiration. La plupart des ventilateurs VNI ne permettent pas une FR de >30min ; des lors, il est recommandé d’etablir une FR a 30/min / Tinsp a 1.0s. Ceci varie du protocole propose ci-dessus avec le BAVU et la valve PEEP. En effet, la fréquence en mode ventilatoire au ballon selon la méthode décrite ci-dessous est à 10 car la pression de crête et le I/E ne pouvant être mesurée, il existe un réel risque « d’autoPEEP » et des pressions maximales a >20cm H20 si une fréquence >10 est appliquée.
Ci-dessous, un protocole plus générique permet d’assurer ses arrières si l’urgence 0 est présente (ce qui est souvent le cas aux Urgences, ou le patient arrive avec zero réserves).
Petit rappel sur la position du patient
Chez votre patient obese ou avec pression abdominale augmente, le diaphragme est pousse vers le haut et diminue le volume de votre cage thoracique. Mettre ce type de patient en Trendelenburg inverse permettrait théoriquement (par effet gravitationnel) d’augmenter le recrutement, réduirait le risque de bronchoaspiration (le niveau d’air/eau dans l’estomac répondant a la gravite, mettre le patient a un angle théoriquement abaisserai le niveau par rapport à la jonction gastro-œsophagienne, permettant à plus d’air de rentrer avec un “repoussage’ du contenu de l’estomac vers le haut).
Bibliographie
- Benumof JL, Dagg R, Benumof R. Critical Hemoglobin Desaturation Will Occur before Return to an Unparalyzed State following 1 mg/kg Intravenous Succinylcholine. Anesthes. 1997;87(4):979-982.
- Petersson J, Glenny RW. Gas exchange and ventilation-perfusion relationships in the lung.Eur Respir J. 2014 Oct;44(4):1023-41.
- Weingart SD. Delayed Sequence Intubation (DSI). Disponible sur https://emcrit.org/dsi/
- Farkas J. PulmCrit: Is pure RSI a failed paradigm in critical illness? The primacy of pressure. Disponible sur https://emcrit.org/pulmcrit/pressure-rsi/Delaye
- Weingart SD, Trueger NS, Wong N, et al. Delayed Sequence Intubation: A Prospective Observational Study. Ann Emerg Med. April 2015Volume 65, Issue 4, Pages 349–355
- Bouvet L, Albert ML, Augris C. Real-time detection of gastric insufflation related to facemask pressure-controlled ventilation using ultrasonography of the antrum and epigastric auscultation in nonparalyzed patients: a prospective, randomized, double-blind study. Anesthesiology. 2014 Feb;120(2):326-34.
- Joffe AM, Hetzel S, Liew EC. A two-handed jaw-thrust technique is superior to the one-handed « EC-clamp » technique for mask ventilation in the apneic unconscious person. Anesthesiology. 2010 Oct;113(4):873-9.
- Gustafsson I, Lodenius Å, Tunelli J, Ullman J, Jonsson F. Apnoeic oxygenation in adults under general anaesthesia using Transnasal Humidified Rapid-Insufflation Ventilatory Exchange (THRIVE) – a physiological study. Br J Anaesth. 2017;118(4):610-617.
- Farkas J. Pulmcrit: Apneic ventilation using pressure-limited ventilation. Disponible sur https://emcrit.org/pulmcrit/apneic-ventilation-using-pressure-limited-ventilation/