Une situation récemment vécue alors que je supervisais aux Urgences m’a exposé à un problème que jusqu’ici je minimisais : la voie intranasale est souvent oubliée, voir jamais utilisée. Pour les médecins travaillant régulièrement en extrahospitalier, nous savons que l’intranasal est un précieux outils lorsqu’un accès est difficile voire impossible. Et nous l’utilisons souvent. Mais en intrahospitalier, la situation est différente, et la rapidité de nos collègues infirmiers nous permet généralement d’avoir un accès en quelques minutes. Nos jeunes collègues ont tendance à prendre cette compétence infirmière « for granted », pour acquis, et c’est seulement lorsque confronté au fait qu’il n’y effectivement aucun accès que le stress devient apparent. Ce poste a pour objectif de nous rappeler quelques bases pour l’administration intranasale, et répertorier la gamme pharmacologique qui nous est disponible à cet escient.
Un grand merci à nos collègues de Krohne et Sesemann pour l’illustration. Malheureusement je ne pense pas que ce modèle supranasal soit toujours disponible…
Lorsque l’accès au capital oro-gastrique/veineux/rectal/musculaire est limité ou que le patient refuse une VVP, un accès intranasal deviens intéressant pour l’urgentiste, avec une efficacité similaire (Piers et al). Le geste technique en lui-même est relativement simple, nécessitant simplement en plus de votre arsenal régulier un atomiseur (ex. Mucosal Atomising Device (MAD), figure 1). En plus d’avoir l’avantage d’être plus rapide que le processus IV, la situation clinique influence peu la voie intranasale (corpulence, état de choc, toute âge confondu, coopération, capital veineux difficile, etc.) (Corrigan et al).
Rappel anatomique
Chaque narine peut être divisée anatomiquement en 4 parties : le vestibule, l’atrium, la région respiratoire et la région olfactive. C’est la muqueuse respiratoire (dans la région respiratoire), avec sa riche vascularisation, qui est responsable de l’absorption médicamenteuse ; en tout, chaque cavité représente une surface d’absorption de ca. 150cm et peut contenir jusqu’à 15ml de liquide. L’administration intranasale devient intéressante lorsque l’on se rappelle qu’une partie de cette vascularisation draine directement au niveau central (cerveau), bipassant des lors en partie le métabolisme first-pass au niveau hépatique – il faut donc faire très attention au dosage des médicaments en intranasal (Costantino et al). Il existe néanmoins un désavantage, à savoir que l’absorption au niveau intranasal est relativement lente, d’où la nécessite d’utiliser des produits très concentres et de diviser la dose à donner entre les deux narines (afin d’éviter la dilution et favoriser la saturation par produit concentré de la muqueuse), et de bien respecter un délai entre chaque dosage.
Utilité aux Urgences
Loin de moi de vous refaire un inventaire de tous les médicaments administrables en IN, je vais me concentrer sur les quelques médicaments clés aux Urgences. Les médicaments ci-dessous ont été choisis car ils sont utilisables chez la majorité de nos patients et la voie IN est souvent nécessaire dans ces contexte-là (souvent, en comparatif a d’autres situations clinique).
Fentanyl
Le fentanyl est un excellent remède antalgique, et son efficacité en intranasal est indéniable : d’ailleurs, il présente la même efficacité que son utilisation par voie intraveineuse, et ce sans augmentation des effets secondaires (Striebel et al). En comparatif a la morphine en PO chez les enfants, il serait même avantageux en cas de procédure de courte durée (par exemple changement de pansement chez les brules, remise d’épaule, etc.) car rapide d’action et rapide de clearance (Borland et al). 1.7 ug/kg de fentanyl intranasal serait équivalent a 0.1 mg/kg de morphine IV, d’après le même lead author dans une autre étude (Borland et al).
Kétamine
Les indications de la Kétamine se voient de jour en jour élargies, mais en laissant de cote les plus controversées, on peut actuellement dire que c’est un excellent médicament pour l’analgésie, l’agitation, la sédation ainsi que les migraines (je rajouterais au passage un seul thème d’actualité qui vaut le coup d’être suivi: l’anxiolyse chimique lors d’un épisode psychiatrique aigue, comme par exemple chez un patient souffrant de crise aiguë de PTSD) (Carr et al, Andolfatto et al, Yeaman et al). Pour le dosage, il est recommandé de débuter bas et de monter en bolus progressivement (chez l’adulte au lieu d’un bolus de 07-1 mg/kg, préférez un bolus de 3-5 mg/kg en IN avec des bolus secondaire mais plus faible que chez l’enfant, soit en incrément de 0.25 mg/kg). Pour vous donner un ordre de grandeur concernant les doses analgésique, 1 mg/kg de kétamine IN équivaut à ca. 1.5 ug/kg de Fentanyl IN selon une étude de Graudins et al. Chez les migraineux, la kétamine présente un avantage en comparatif aux traditionnel AINS et opiacés : son action est différente car fonctionne via l’antagonisme des récepteurs NMDA (mais avec également une efficacité aux récepteurs mu « u » (Orr et al). Sans trop rentrer en détails, pour cette indication, le dosage recommande est de 10-50 mg, avec un effet des 25 mg IN (le randomised trial de Afridi et al. En double-blind a même démontré un effet similaire a 2mg de midazolam IN, soit une amélioration de la symptomatique, un retour à domicile plus rapide, et surtout une possibilité d’utilisation en ambulatoire : les patients ont demontre une réduction voire un arrêt d’attaque de migraine si pris par eux-mêmes en IN en ambulatoire des débuts d’aura !).
Midazolam
Utile pour le contrôle de l’agitation et la sédation mais également pour l’épilepsie, l’administration de midazolam en intranasal est une excellente alternative au IV, avec des concentrations plasmatique similaire a 10 et 25 min (Burstein et al). Pour l’agitation et la sédation, de multiples études existent, principalement chez l’enfant, avec des dosages variants de 0.5 mg/kg lors de réparation de lacération (Tsze et al), a 0.3-0.8 mg/kg pour la sédation procédurale (Lane et al). Concernant l’agitation, un sujet qui vous tiens surement à cœur si vous travaillez dans le préhospitalier pédiatrique, Brigo et al rapportent, dans leur revue systématique de 2015, qu’il n’y a pas de différence entre le midazolam IN, le diazépam IV et le diazépam rectal, avec un arrêt du status en moyenne 3-4 min après administration. Une métanalyse de McMullan et all confirme ces résultats. Une dose de 0.2 mg/kg (max 10mg) est dès lors recommandé, avec une sédation plus profonde et de durée plus longue dès 0.3-0.8 mg/kg (et un effet pouvant durer 10-45 min, soit rien que l’on souhaite lorsqu’un parent accompagnant son enfant post-ictal. avec vous dans l’arrière de l’ambulance !).
Halopéridol
Un antipsychotique de première génération utilise dans l’agitation aigue en IV et IM, l’utilisation en IN n’est pas monnaie courante, néanmoins possible. Les données sont actuellement limitées, mais certaines études, dont Constantino et al et Van Puten et al, penchent vers un avantage pour une utilisation IN vs. IM : en effet, il semblerait que 15 min après une administration après 2.5mg en halopéridol IN vs. IV vs. IM, la concentration plasmatique maximale est atteinte en 15 min en IN et IV vs. 37.5 min en IM, suggérant que l’absorption et le peak plasmatique est rapide. Un dosage de 2.5mg a 5 mg/kg est recommandé (Van Putten va même jusqu’à 2.5-10 mg/kg).
Naloxone
Premièrement décrit en 1991 par Loimer et al, la naloxone est un antagoniste aux récepteurs d’opiaces mu, kappa et delta au niveau du système nerveux central. Elle présente l’avantage d’avoir une concentration plasmatique maximale a 3 min en IN (Kelly et al, Robinson et al)) et est donc un outil révolutionnaire pour les suspicion d’OD aux opiaces, qui possèdent généralement un capital veineux très pauvre (d’où la présence de Naloxone en seringue prête avec un embout MAD dans le kit des policiers de certains états aux USA !).
Flumazénil
Un autre antidote aux OD/surdosage mais cette fois aux benzodiazépines, les études montrent une absorption et un effet (concentration plasmatique maximale a 2 min) pour reverser l’hypersedation associée a une overdose de benzodiazépine, avec une étude quotant même un effet des 1 ug/kg pour reverser 5mg de Midazolam chez un enfant de 3 ans (soit environ 14kg, soit 0,35 mg/kg de Midazolam) (Heard et al), et une autre démontrant peu d’agitation après revers d’une sédation par 0.4 mg/kg de Midazolam par Flumazénil 0.025 mg/kg IN (McGlone et al). Avec un dosage nécessaire de 0.025- 0.04 mg/kg, le flumazénil IN reste un outil pour l’urgentiste avérée, et ce malgré la nécessité de large volume intranasal (actuellement, en Suisse, le flumazénil se vend en 0.1 mg par ml (Compendium.ch), donc de gros volume sont nécessaire pour une administration IN).
Conclusion
La liste des médicaments ci-dessus n’est pas exhaustive mais reste importante à connaitre, l’intranasal étant un allie souvent délaissé. J’espère que vous prendrez le temps d’en imprimer une version plastifiée, afin de la conserver dans vos poches et celles de vos internes.
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