La prise en charge de la péritonite bactérienne spontanée (PBS) reste un de ces mystères de la médecine d’urgence – à chaque centre sa recette, à chaque société savante son cocktail, avec un thème général : antibiothérapie avec ou sans albumine. Mais dans ce monde qu’est le Evidence-Based Médicine, qu’en est-il réellement ? Quel antibiotique choisir ? A qui doit-on donner une prophylaxie antibactérienne ? Et pour quelle durée ? L’albumine joue-t-elle réellement un rôle majeur ? (Ou est-ce encore une dépense sans réel bénéfice, dans un monde ou la sante devient un réel fardeau financier sur la population). Dans ce post, je vais tenter de revoir l’évidence et essayer de donner une réponse a ces questions.
Remerciements à nos collègues Anand Swaminathan, Rick Pescatore et encore Sophie Restellini pour l’inspiration, et a Maulik Patel via Radiopaedia.org pour cette illustration parfaite du signe de corail: les intestins apparaissant comme du corail, encercle d’ascite.
Environ 50% des patients atteint de cirrhose hépatique aux USA développeront une ascite dans les 10 années qui suivent le diagnostic (Runyon et al.) Aux Urgences, 10-25% de ces patients ascitiques auront en plus une péritonite bactérienne spontanée (PBS) (Borzio et al.). Avec une mortalité entre 40-50% et un taux de récidive >70% à 1 an (Rimola et al.), il devient clair que le diagnostic, la prise en charge rapide et la prévention sont clés à la survie de ces patients (Salerno et al)
Pathophysiologie
Avec l’augmentation de la pression portale systémique associé à l’ascite, les muqueuses intestinal développement un œdème et une augmentation de la perméabilité digestive, qui résulte en une translocation transmurale des bactéries entérique vers le liquide ascitique via les ganglions mésentériques. Les trois bactéries les plus commune étant l’Escheria coli, la Klebsiella pneumonie et le Streptococcoque pneumonie (Runyon et al). La sévérité de la cirrhose et le risque de PBS sont directement corrélés : en effet plus la translocation bactérienne est favorisée (HDH, malnutrition, IPP, lésion pariétale) et/ou la fonction immunitaire diminuée (HDH, ascite pauvre en protides ou antécédent de PBS) et plus le risque de développer une PBS est élevé. La mortalité reste néanmoins conséquente : en effet, chez les patients atteints de PBS, le système immunitaire est souvent fortement affaibli, comme par exemple la phagocytose, qui est perturbé dans le contexte d’une cirrhose. Les symptômes qui s’en suivent sont dès lors : fièvre ou frisson, douleur abdominale (diffuse, avec ou sans péritonisme), distension abdominale, fatigue ou encore malaise et perturbation de l’état de conscience (encéphalopathie, par exemple).
Diagnostique
Une ponction d’ascite est nécessaire dans tous les cas : sans celle-ci, le diagnostic d’exclusion ne peut être poser. En effet, la CRP, la leucocytose ou encore la VS ne sont pas des éléments utiles car peut spécifique (et de ce fait une ponction est recommandé chez tout patient admis – Gaetano et al). Pour être positive, la ponction doit présenter (Wong et al) :
- Leucocytes polymorphonucleaire a >250-500/mm3 ou neutrophile > 250/mm3 ; chez le patient dialysé en péritonéal, le décompte de neutrophiles > 100/mm3
- Culture d’ascite positive
- pH < 7.34 (*débattu – souvent retrouve dans la PBS)
Une culture et un gram sont fortement recommande.
Traitement
Une antibiothérapie est recommandée dans l’heure d’arrivée en cas de fièvre ou ponction ; si un EF est présent, il est dans tous les cas recommande de débuter une antibiothérapie même si la ponction révèle des neutrophiles < 250/mm3. Un traitement par céphalosporine de 3e génération couvre la majorité des cas, soit de la Ceftriaxone 25 mg/kg (max 2 g/j, soit la dose habituelle) ou Cefotaxime 25 mg/kg jusqu’à 1g, 8x/jour). La ciprofloxacine ou la levofloxacine sont également utilisable. Les américains recommandent également le Tazobac, Ertapenem ou Imipenem/Cilastatin, chose que nous réserverons pour de véritable choc septique (voir même seulement pour des chocs réfractaire).
Albumine
Le réel intérêt de ce post était l’albumine. En effet, chacun de nous a sa petite recette, son opinion sur le sujet, et si vous lisez ce blog, vous comprendrez que le principe de dogme et de « on a toujours fait ça » ne devrait plus exister. Alors, qu’en dit la littérature ? Y-a-t ‘il réellement un effet sur la morbidité/mortalité ? On sait que l’albumine affecte l’endotoxémie, bloque l’activité des neutrophiles, module l’activité de l’oxide nitrique et a un effet sur la vasodilation systémique et vasoperméabilité capillaire (Salerno et al). Mais ces effets physiologiques ont-ils réellement incidence sur de le devenir du patient ?
Plusieurs études systématique et méta-analyses existent à ce sujet (Narula et al, Jamtgaard et al). 2 randomised controlled trials sortent du lot car relevant à la médecine d’urgence avec des comparatifs par placebo (plutôt que de l’amidon, comme une des études aurait fait, d’après Rick Pescatore).
La première étude de Sort et al, paru en 1999 dans le New England Journal of Medicine, était un double-blind RCT d’un faible nombre de patients (n=126) chez qui le traitement était soit Cefotaxime seul, soit Cefotaxime plus albumine (à 1.5g par kg + 1 g/kg a J3). Le groupe albumine a présenté une incidence réduite d’IRA (10% vs 33%, p=0.002) mais également de mortalité hospitalière (10% vs 29%, p=0.01). La seconde étude, par Xue et al, n’est quant à elle pas blindée mais reste une RCT néanmoins. La mortalité et l’incidence d’IRA ont également été étudiés, cette fois chez 112 patient, avec deux groupes : ceftriaxone seul vs. Ceftriaxone et albumine 0.5-1 g/kg + la même dose a J3. Similairement a la première étude, l’incidence d’IRA (9% vs 34%, p=0.002) et de mortalité hospitalière (9% vs 35%, p=0.01) sont réduits. Quant aux guidelines de l’American Association for the Study of Liver Diseases, ils recommandent que les patients présentant :
- Une suspicion clinique de SBP avec une ascite à neutrophile supérieur ou égale a 250 cellules/mm3
- Et une créatinine sérique >1 mg/dL ou une urémie sanguine >30 mg/dL ou enfin une bilirubinémie supérieure a 4 mg/dL
-> doivent recevoir de l’albumine IV (1.5 g/kg) dans les 6 heures de détection de PBS et 1.0 g/kg à J3 (Runyon, AASLD).
Une note sur la prophylaxie antibiotique
La notion d’une antibioprophylaxie pour la PBS chez les patients cirrhotiques ne date pas d’hier : dans le début des années 1990, une série d’études a démontré que l’incidence de PBS était plus élevée chez les patients ayant une ascite hypoprotéinique (<10 g/L) (24% vs. 4%) (Llach et al), et que l’antibioprophylaxie par Norfloxacine 400 mg/j chez des patients avec un taux même plus élevé (<15 g/L) réduisait le taux de PBS (Grange et al). En 2007, une étude a poussé les critères d’inclusion pour une antibioprophylaxie a un score de CHILD Pugh ≥ 9 [protéine ascitique <15 g/L, bilirubine ≥ 52 μmol/l et/ou fonction rénale altérée et/ou une Na < 130 mmol/l]et a démontré une réduction de l’incidence de PBS par Norfloxacine 400 mg/j en prophylaxie (à 1 an: 61% vs 7%, p<0.05): les secondary endpoints se sont également relevé positif avec une réduction de l’incidence du syndrome hépatorénal (41% vs 28%, p<0.05) et une réduction de la mortalité a 3 mois (94% vs 62%, p<0.05) et 1 an (60% vs 48%, p<0.05) (Fernandez et al). Cette amélioration de la survie a 1 an a également été rapporte par une étude plus récente (Terg et al).
Un Number Needed to Treat (NNT) a également été évalué, en méta-analyse : 8 pour réduction absolu du risque de développer une PBS (réduction 12%), et mortalité 11 (9%) (Saab et al.) :
Et l’antibioprophylaxie secondaire ? Chez les patients ayant déjà eu une PBS, l’utilisation de Norfloxacine a raison de 400 mg/j s’est relevée très justifiée pour la diminution de récidive (à 1 an, 20% vs 68% avec placebo – bacille gram neg : 3% vs 60%) ; en vue des effets positif, le suivi lors de cette étude a été stoppée à 6 mois et donc la réduction de mortalité n’a pas été étudié (Gines et al). La petite goutte qui fait déborder le vase en faveur est l’aspect économique, à savoir (aux USA bien sûr) une réduction de plus de 6000 dollars/patient/an (2216 vs 8545) reflétant la diminution du nombre d’hospitalisations (Inadomi et al). Dans tous les cas, il est recommandé de débuter une antibiothérapie prophylactique secondaire chez tout patient ayant déjà eu une PBS par Norfloxacine 400 mg/j, et ce à vie, jusqu’à transplantation, ou disparation complète de l’ascite (rare) (EASL).
Addendum
L’utilisation d’une antibioprophylaxie n’entraine-t-elle des lors pas une résistance ? Il semblerait que la mise en pratique des recommandations citées ci-dessus a effectivement entrainé un début de résistance (50% compare à 16% avant recommandations) mais que la sensibilité à la Rocéphine est préservée (Fernandez et al.). Dans tous les cas, en cas de résistance connu lors d’une ponction précédente de PBS, les quinolones ne devraient pas être utilise en prophylaxie.
Bibliographie
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