Les dernières guidelines du Canadian Heart and Stroke Foundation (Boulanger et al, 2018) démontrent un départ du traditionnel ABCD2 score vers une approche clinique pour la stratification du risque de nouvel AVC dans les 48 heures suivant la présentation d’un AIT aux Urgences. Ce changement de cap semblerait être en réponse a de nombreux récentes études qui mettent en question la validité du score. Nous allons tenter de résumer l’approche suggérée en revoyant l’évidence derrière.
Un grand merci à Dr Helman, Dr Himmel et Dr Dushenski pour leur post inspirant à ce sujet et à Dre Katie Lin et al. pour le résumé des recommandations du Canadian Heart and Stroke Foundation. Merci aussi à Biomedical Ephemera pour avoir récupéré cette illustration par Joseph Vimont (1795 – 1857 †).
La prise en charge du patient présentant aux Urgences avec un épisode de déficit neurologique d’origine central <24h00 est relativement direct, car peu de choses sont à faire “dans l’immédiat”. Il ne s’agit (en règle générale) pas du patient à stabiliser de suite, les symptômes neurologiques étant dans la plupart de cas résolu ou en cours de résolution. Là où le rôle de l’urgentiste est vital, c’est de décider de la suite. En effet, le risque d’avoir un nouvel épisode neurologique (AVC) dans les prochains 90 jours est élevé (12-20%) avec la moitié de ces patients ayant cet épisode dans les premières 48 heures (Valls et al, 2017). Ce risque peut fort heureusement être réduit a moins de 4% des lors qu’une thérapie agressive et un suivi est établi (Amarenco et al, 2016) Des lors, est-il utile/envisageable de procéder à une endartériectomie chez tout le monde ? Qui peut-on laisser rentrer à la maison le jour même ? Et qui aura besoin d’un traitement conservateur pharmaceutique ? L’utilité des scores cliniques rentre en jeu. Et la beauté de l’EBM ? Ils sont tout le temps mis au défi d’une nouvelle études. AVC/AIT : qu’en est-il du score ABCD(2) ?
Rappel : score ABCD2
A – Age >60ans
B – BP initial : TA>140/90
C – Clinical features : troubles du langage et hemisyndrome
D – Durée des symptômes : <10min, 10-59 minutes ou >59 minutes
D – Présence concomitante de Diabètes Mellitus
C’est dans ce contexte que nous revoyons plusieurs résultats d’études questionnant la validité du score ABCD2 : en effet, d’après Perry et al (2011), il semblerait que ca. 8% des patients serait classifiés comme à “bas risque” de récidive, avec une sensibilité de classification en “haut risque” de seulement 31.6%. Une étude menée par Stead et al (2011) retrouve une absence de corrélation entre le risque calculé par l’ABCD2 et la réalité (Stead : d’après ABCD2 risque de récidive 1.1% de population a bas risque, risque intermédiaire et 2.7% haut risque, versus réalité : nouvel épisode chez 2.1% des patients de bas risque, 2.1% risque intermédiaire, 3.6% haut risque a 90 jours). Chez Ghia et al (2012), la sensitivité et spécificité à 30 jours seraient même de 57% et 32.2%.
Les nouveaux guidelines canadiens ont reconnus ces résultats dans la nouvelle version officielle. Mais plutôt que de simplement porter atteinte au score, le comité a cherché à identifier de nouveaux critères pouvant prédire le risque de récurrence. D’après ces guidelines donc, il s’agirait de la clinique qui ferait fois, et permettre d’identifier les patients à haut risque de « recurrent stroke ». Ces patients doivent donc prétendre à une des trois catégories symptomatiques ci-dessous :
- Faiblesse unilatérale transitoire, fluctuant ou persistance (visage, membre supérieur et/ou membre inferieur
- Dysphasie transitoire, fluctuant ou persistance
- Et/ou symptômes transitoire, fluctuant ou persistance
Cette classification est importante dans le cadre des urgences : en effet, d’après ces mêmes guidelines, elle permettrait d’identifier les patients nécessitant des investigations rapides à la recherche d’indications à l’endartériectomie et/ou identifier les patientes ayant une indication a une DAPT [Dual Anti-Platelet Activity].
Quelles investigations donc
Un angioCT cérébral avec “les axes” (carotides/vertébraux) est plus sensible que le doppler dans l’identification de sténose significative, mais également de dissection de ces axes, qui peuvent également être cause d’AIT. D’après les guidelines Canadien, les patients à haut risquex nécessiteraient une imagerie en urgence (angioCT ou angioIRM) de l’arche aortique au vertex dans les premières 24 heures (niveau d’évidence B). Les patients à risque modéré (symptôme non-moteur non-phasique fluctuant ou persistant, ex. Ataxie, dysphagie, hemisensidrome) peuvent également bénéficier d’un US si l’imagerie de type CT/IRM n’est pas disponible (les patients à haut risque nécessitant un transfert vers un centre adapte).
Nota Bene : Ces recommandations ne changent pas grand-chose pour la prise en charge de patient avec suspicion d’AIT ou d’AVC en Europe, mais peut pousser à la réflexion dans d’autres pays/continents.
Admission vs traitement ambulatoire
Vous avez établi que votre patient avec un AIT est à haut risque de récidive neurologique– la question est dès lors : qui admettre vs qui peut RAD. Dans certains hôpitaux, cette décision est prise en accord avec l’équipe de neurologie, et généralement si un AIT est présent, le patient sera hospitalisé afin de compléter le bilan (voir section ci-dessous). Si l’imagerie se révèle rassurante, le patient bénéficiera d’une TTE et un RAD sera envisageable en 48h00. Si par contre une sténose carotidienne avec indication opératoire est retenue, en vue d’un risque très élevé a 48h00, le patient sera probablement opéré dans les 2-14 jours suivant la pose de diagnostic. Ceci réduirait le risque d’un AVC majeur de 26% à 9% sur 2 ans, encore plus (réduction absolue du risque 30%) si l’intervention a lieu dans les 14 jours.
A propos de la TTE et/ou du holter
L’étiologie cardioembolique d’un TIA ou d’un AVC n’est pas négligeable> en effet, 5% des patients ayant un AIT auront un nouveau diagnostique concomitant de FA a 24 heures de monitoring, et jusqu’à 20% auront une FA paroxystique mis en évidence par Holter (sur 4 semaines). L’association causale n’est pas obligatoire, et il sera difficile de la prouver, mais la FA engendrant un risque élevé de thrombus, il est clairement préférable de débuter une anticoagulation si une FA est découverte chez un patient ayant (eu) un déficit neurologique nouveau. Des lors, lorsqu’aucune cause n’est initialement trouvée pour l’AIT, une TTE et un holter sont recommandés. Ceci vaut bien évidement pour les patients ayant déjà une cardiopathie sous-jacente (endocardite, coronaropathie sévère, etc.).
Traitement
L’optimisation thérapeutique de tous les patients ayant eu un AIT est le sujet de nombreuses études et guidelines. Des 2004, le fameux DAPT [Dual Anti-Platelet Treatment] est question;, d’abord par le MATCH trial (qui ne met pas en évidence d’avantage significative au DAPT compare au Clopidogrel seul, mais étude menée avec des critères d’inclusion diffèrent de la réalité, ex. Inclusion si AIT dans les 6 mois précédents, et non pas débuté en Urgence comme est normalement le cas) puis avec le EXPRESS trial (qui met en évidence en 2007 l’utilité de débuter un traitement dans “l’urgence”, avec une réduction de récidive de ca. 80% !). Enfin, les FASTER, CHANCE et POINT trials ont valides le DAPT et l’importance de le débuter (le traitement) dans les 24-72 heures.
Des lors, les guidelines canadiennes recommandent de débuter aux Urgences pour les patients à haut risque (sauf si prenant déjà de l’aspirine ou du clopidogrel) :
Aspirine 160-325mg PO DU, puis 81mg 1x/j -> a vie
Clopidogrel 300mg PO DU puis 75mg 1x/j pour 3 semaines
Une RCT multicentriques (269 sites) internationale sortie après les guidelines canadiennes vient renforcer ce message, précautionnant néanmoins au risque hémorragique, qui était sous-rapporté dans les trials CHANCE et POINT.
Nota Bene : une prophylaxie par pantoprazole (qui contrairement aux autres IPP n’affecte pas le cytochrome P450 et donc n’interfère pas avec l’activation du clopidogrel) est recommandée pour les 3 semaines de DAPT.
Si une FA est également présente lors du diagnostic, et que le CT est normal (c.à.d. AIT sans séquelles), une anticoagulation par OAC est possible. CAVE : en présence d’un AVC, le potentiel ischemo-hemorrhagique est élevée, et des lors l’indication a l’administration d’un anticoagulant devra être fait par un neurologue.
Bibliographie
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