Gestion du pneumothorax aux Urgences

J’ai récemment eu une longue discussion avec un confrère urgentiste canadien à propos de la gestion des pneumothorax spontanés aux Urgences, suite à la parution du podcast d’Anton Helman. Les pratiques variant considérablement de pays en pays (voir de centre d’Urgences à centre d’Urgences), et ce geste faisant parti des gestes « de base » de tout urgentiste,  un petit refresher pour résumer nos pratiques sur le vieux continent est en ordre.

Voici donc un résumé de la gestion du pneumothorax spontané simple aux Urgences, version européenne, dans la langue de Molière.


CAVE : cet article discute de la prise en charge du pneumothorax spontané simple, et ne couvre pas le pneumothorax sous tension. Rare, et potentiellement fatal, la « tension » est provoquée par l’accumulation d’air dans la cavité pleurale, avec pour conséquence une augmentation de la pression intra-thoracique et entravement du retour veineux. Diminuant le débit cardiaque, ceci peut éventuellement mener à un collapsus du système cardiovasculaire (voir Figure ci-dessous). La gestion du pneumothorax sous tension consiste en l’évacuation rapide de l’air par exsufflation, puis la pose d’un drain thoracique.
 
Pour plus d’information à ce sujet, je vous invite à lire le dernier post de nos confrères du Skeptics Guide to Emergency Medicine, qui débat également du lieu d’insertion de l’aiguille de décompression (conclusion : just get a needle in, and get it in fast).

Pneumothorax sous tension
Figure 1. Mécanisme du pneumothorax sous tension. Source: A.J. Chandrasekhar ©, Loyola University Chicago

Le pneumothorax, ou accumulation d’air entre la plèvre pariétale et la plèvre viscérale, a une incidence d’environ 2/10,000 patients/an. Souvent associe à une dyspnée ou encore une oppression thoracique (mais pouvant également être asymptomatique), il peut être spontané primaire, spontané secondaire (lié à une pathologie pulmonaire sous-jacente, par exemple), iatrogène (ex. post-pose de VVC), post-traumatique ou encore sous tension (une composante clinique de par sa pathophysiologie, mais qui a sa place dans cette liste – voir ci-dessous). Pour de multiples raisons, la présente discussion portera sur le pneumothorax spontané dit simple sans répercussion hémodynamique (indice de choc négatif, TAsyst >90mmHg, FR <30/min ou encore SpO2>90% AA).

Not all pneumothoraces are the same (i.e. size does matter)

Le diagnostic et traitement du pneumothorax simple dépendent de sa taille. La première étape consiste donc à déterminer celle-ci. La modalité de choix est la radiographie du thorax (Rx Thorax), prise si possible debout. Je vois déjà l’urgentiste en vous frétiller d’émotion et prêt à sauter sur le fait que l’US est tout aussi voire plus sensible que la Rx du thorax (sensitivité de 90.9% et une spécificité de 98.2% (1) pour l’US) mais la réalité est qu’à ce jour, la classification de la taille du pneumothorax (cf. How big is your leak ci-dessous) dépend d’une Rx du thorax en position debout. Et l’ultrason ne permet pas une mesure adéquate de la taille du pneumothorax, même s’il permet de détecter de petit pneumothorax lorsque la Rx est moins sensible (2). Or cette taille a une importance: l’ensemble des recommandations de Prise en Charge (=PeC) actuelles sont basées sur la taille du pneumothorax selon radiographie standard.

Lorsque le patient ne peut pas être en position debout (ex. polytraumatisé) ou que la symptomatologie rend la situation trop inconfortable, la sensitivité de la Rx du Thorax diminue de façon drastique : 50% en décubitus dorsal. L’US devient alors notre meilleur outil diagnostique (hormis le CT), avec l’avantage (versus CT) d’être rapide et a portée de main du patient en cas de complication.

How big is your leak ?

En médecine, hormis dans de rares exceptions, il existe une réelle absence de consensus de définition et les pneumothorax n’échappent pas à cette règle.  Témoin de ceci, les Américains ont choisi de définir la limite un grand pneumothorax comme étant >3cm distance interpleurale apicale (American College of Chest Physicians 2001); pour nos confrères Anglais (British Thoracic Society), la distance est de >2cm, cette fois calculée a l’hilum, alors que pour les Belges, une déhiscence sur l’entièreté du mur latéral de la cage thoracique est nécessaire. D’autres définitions existent (ex. index de Light, méthode de Collin’s) – dans la pratique de tous les jours, à des fins de facilité, nous utilisons dans notre centre la définition américaine ou anglaise.

Mesure du pneumothorax
Figure 2. Évaluation de la taille d’un pneumothorax. Source: EMcases

So what do we do next?

Dans le cadre d’un pneumothorax de petite taille +/- symptomatique, la plupart des algorithmes proposent une surveillance sans drainage, avec Rx de contrôle à 4 heures. Si la nouvelle Rx confirme une stabilité du pneumothorax (voir diminution en taille), le patient peut alors Rentrer A Domicile (=RAD), avec un suivi clinique et paraclinique (avec Rx Thorax) dans les 72h00, suivi qui peut tout à fait être fait chez le médecin traitant (=généraliste).

Le dogme d’administrer de l’O2 durant la surveillance aux Urgences dans l’attente de la 2e Rx est sujet à débat et émanerait de plusieurs études dont une analyse rétrospective de 2017 qui aurait mis en évidence une amélioration de la résolution (en terme du NNT) (3). Sans grand fondement, de plus amples études sont nécessaires, et son utilisation reste questionnable – pour ma part, un calcul risque/bénéfice de l’hyperoxie est nécessaire pour chaque patient avant de débuter l’O2therapie.

Si le pneumothorax est de taille large, chez un patient asymptomatique ou paucisymptomatique, l’approche recommandée varie selon l’organisation faitière. D’une simple observation (European Respiratory Society 2015(4)), à une aspiration +/- pose de drain (selon résultats de l’aspiration) (British Respiratory Society 2010 (5) et Belgian Respiratory Society 2005 (6)), en passant par la pose systématique d’un drain thoracique (American College of Chest Physicians 2001 (7)), une rationalisation des connaissances est nécessaire pour apporter les meilleurs soins avec le plus de bénéfice (vs risque). A noter que l’observation simple n’est dans tous les cas pas recommandée en cas de symptômes débilitant (sans compromis cardiopulmonaire) – il est dans ce cas de figure recommandé de débuter par une aspiration +/- pose de drain selon résolution.

Premier épisode et âge
Quel que soit le mode de prise en charge choisi, il est fortement recommandé que pour tout patient >50 ans présentant un premier épisode de pneumothorax spontané, des investigations complémentaires soient effectués car la possibilité d’une étiologie secondaire augmente avec l’âge.

Je vous propose donc de revoir ce que veulent le niveau de preuve et ce que veut dire chacune de ces recommandations, afin d’établir un choix thérapeutique rationnel et EBM.

a. Observation simple d’un pneumothorax

Est compris comme observation simple le fait de surveiller (sous moniteur) le patient aux Urgences, avec Rx de contrôle à 4 heures. Le dogme d’hyperoxygener le patient durant cette surveillance est discuté ci-dessus, et est, en vue de l’evidence, un dogme. Selon le retour radiographique a 04h00, si le pneumothorax est stable (ou diminue en taille), le patient peut RAD avec un suivi dans les 72h00 avec une Rx de contrôle.

Cette option résume l’approche de beaucoup d’entre nous, avec un primum non nocere qui jusqu’ici était remis en question. En effet, cette facheuse tendance aux gestes invasifs, caractéristique d’un monde sans evidence-based medicine qui considère que sans intervention chirurgicale le patient souffrirait (alors qu’au contraire, dans une multitude de scenario, le faussement nommé conservative-management a des résultats similaires voir meilleurs) a récemment été remis en cause par le premier essai clinique comparatif et randomisé (ECR)  sur le sujet. Se focalisant sur la gestion des pneumothorax simple de taille modérée (classification selon la méthode de Collins – concordance proche des méthodes susmentionnés), cette ECR, par le biais d’une randomisation de 316 patients entre 14-50 ans présentant un premier épisode de pneumothorax simple unilatéral, a démontrée qu’une simple observation obtenait un taux similaire de reexpansion à 8 semaines comparée à la pose d’un drain thoracique d’office (94.4% versus 98.5%), avec une nette diminution de récurrence (8.8% versus 16.8%, NNT 12.5%). Par ailleurs, même avec un 15% du groupe “conservatif’ ayant nécessité soit une aspiration soit pose de drain, le temps hors-travail était réduit de 4.5 jours, avec un taux de satisfaction et une nette diminution d’évènements indésirables avec un traitement dit conservatif.

De ce fait, à mes yeux, cette option reste tout à fait acceptable selon certains critères (voir schéma ci-dessous).

b. Aspiration

L’aspiration, éloquemment présentée par nos confrères du CHUV (NEJM Procedural video for needle aspiration of pneumothorax), est dans notre département d’Urgence une procédure que nous réalisons régulièrement pour les pneumothorax spontané d’origine atrautamique chez le patient ne présentant pas de défaillance cardiopulmonaire. La validation de cette pratique émane de 2 essais clinique comparatif et randomisé (ECR) qui ont démontrés que l’aspiration présente le même taux de résolution, avec une incidence diminuée de récurrence à 12 mois (4% versus 12.9%). Par ailleurs, ce procédé est associé à moins d’évènements indésirables, même si la résolution peut prendre un peu plus de temps en cas d’aspiration (résolution « immédiate » 50-68% versus 80.6% en cas d’introduction d’un drain) (8–10).

c. Pose de Drain thoracique

Pour un pneumothorax simple d’origine atraumatique, le drain recommandé est de petit diamètre (charrière 6-12 French). Connu sous le nom de Pigtail pulmonaire, il présente l’avantage de pouvoir être attaché à une valve de Heimlich plutôt qu’une sentinelle/cassette (bien qu’un switch pour sentinelle est possible si échec de la valve de Heimlich). Validé par plusieurs études, ce drain offre la possibilité, si le pneumothorax n’est pas résolu lors de la PeC aux Urgences, un traitement en ambulatoire du pneumothorax, d’après nos confrères Nord-Américains (et une étude du Lancet de 2020 (11)). Cette approche, qui préconise une reconsultation à 24h00 pour +/- ablation du Pigtail, est discutable, et j’aurais plutôt tendance à observer le patient 24h00 dans notre unité d’observation, avec ablation du drain avant le RAD. Quoi que, selon le patient, une tentative de traitement en ambulatoire pourrait être envisageable.

Notons que si le drainage ne fonctionne pas avec Pigtail, , il faut en premier lieu mettre le drain en aspiration via une cassette/sentinelle (-20cmH20). Si aucune amélioration n’est notée a 1 heure, le Pigtail doit être switché pour un drain de diamètre conventionnel, et mis sous aspiration, avec hospitalisation subséquente. Les raisons fréquentes d’échec sont nombreuses (fistules bronchopleurale, bouchon liquidien dans le drain, etc). Dans ce cas de figure, une antalgie efficace sera recommandable – un bloc PEC/Serratus antérieur par exemple…

La méthode d’introduction du Pigtail est très bien décrite par nos confrères de EM Cases ou encore EPMonthly, et je vous invite à visualiser leurs vidéos.

Ablation du drain : bourdonnement garanti !
Conseil pratique de nos confrères EMCases : lors de l’ablation d’un drain, demandez au patient de faire un bruit de bourdonnement. Le poumon sera alors en position constante de reexpansion (a testez sur soi-même – je vous imagine déjà !)

OK, bon, c’est très intéressant tout ça,  mais maintenant, qu’est-ce que dois-je faire ?

Pas de panique – si l’on résume tout ce qui a été discuté ci-dessous, l’algorithme ci-dessous devrais vous apporter toutes les réponses recherchées.

Enfin, n’oubliez pas que COVID-19 augmentera très probablement l’incidence de Pneumothorax (avec toute cette toux !) – donc n’oubliez pas votre EPI (=Équipement Protection Individuelle) et l’isolation du patient afin de protéger vos collègues et les autres patients potentiels. Courage, et bonne garde !

Figure 3. Algorithme de prise en charge du Pneumothorax (ABCmed.ch)

Bibliographie

1.         Alrajhi K, Woo MY, Vaillancourt C. Test characteristics of ultrasonography for the detection of pneumothorax: a systematic review and meta-analysis. Chest. 2012 Mar;141(3):703–8.

2.         Volpicelli G, Boero E, Sverzellati N, Cardinale L, Busso M, Boccuzzi F, et al. Semi-quantification of pneumothorax volume by lung ultrasound. Intensive Care Med. 2014 Oct;40(10):1460–7.

3.         Park CB, Moon MH, Jeon HW, Cho DG, Song SW, Won YD, et al. Does oxygen therapy increase the resolution rate of primary spontaneous pneumothorax? 2017. 2017;9(12):5239–43.

4.         Tschopp J-M, Bintcliffe O, Astoul P, Canalis E, Driesen P, Janssen J, et al. ERS task force statement: diagnosis and treatment of primary spontaneous pneumothorax. Eur Respir J. 2015 Aug;46(2):321–35.

5.         MacDuff A, Arnold A, Harvey J. Management of spontaneous pneumothorax: British Thoracic Society Pleural Disease Guideline 2010. Thorax. 2010 Aug;65 Suppl 2:ii18-31.

6.         De Leyn P, Lismonde M, Ninane V, Noppen M, Slabbynck H, Van Meerhaeghe A, et al. Guidelines Belgian Society of Pneumology. Guidelines on the management of spontaneous pneumothorax. Acta Chir Belg. 2005 Jun;105(3):265–7.

7.         Baumann MH, Strange C, Heffner JE, Light R, Kirby TJ, Klein J, et al. Management of spontaneous pneumothorax: an American College of Chest Physicians Delphi consensus statement. Chest. 2001 Feb;119(2):590–602.

8.         Parlak M, Uil SM, van den Berg JWK. A prospective, randomised trial of pneumothorax therapy: manual aspiration versus conventional chest tube drainage. Respir Med. 2012 Nov;106(11):1600–5.

9.         Zehtabchi S, Rios CL. Management of emergency department patients with primary spontaneous pneumothorax: needle aspiration or tube thoracostomy? Ann Emerg Med. 2008 Jan;51(1):91–100, 100.e1.

10.       Thelle A, Gjerdevik M, SueChu M, Hagen OM, Bakke P. Randomised comparison of needle aspiration and chest tube drainage in spontaneous pneumothorax. Eur Respir J. 2017 Apr;49(4).

11.       Hallifax RJ, McKeown E, Sivakumar P, Fairbairn I, Peter C, Leitch A, et al. Ambulatory management of primary spontaneous pneumothorax: an open-label, randomised controlled trial. Lancet Lond Engl. 2020 Jul 4;396(10243):39–49.

Citer cet article: Heymann EP. Gestion du Pneumothorax aux Urgences. ABCmed blog. Janvier 2022. Disponible sur: https://www.abcmed.ch/gestion-du-pneumothorax/