Status Epilepticus, ou comment combiner le charme du latin avec le risque d’une potentielle intubation. L’État de mal épileptique, comme il est plus couramment connu, semble être une de ces pathologies dont la prise en charge varie selon le centre de référence (de pays en pays, voire d’hôpital en hôpital). Or, face aux complications potentielles, ne serait-il pas logique de prendre en charge ces cas selon une méthode standardisée basée sur les dernières évidence (le fameux EMB) ? La Dre Maier s’est récemment posé la question lors d’un travail de remise à jour du protocole institutionnel pour son centre hospitalier, et a proposé de partager avec ABCmed un résumé de son travail. Un grand merci donc à Dre Maier ainsi qu’au British Museum et Frederick Richard Say (1804 – 1868 ✝) pour l’illustration.
P.S : Si vous aussi vous souhaiteriez vous joindre à l’équipe ABCmed et œuvrer ensemble pour le #FOAMed dans la langue de Molière (#FrOAMed), n’hésitez pas à prendre contact avec nous !
L’Etat de mal épileptique, ou Status Epilepticus, correspond a une crise épileptique convulsive ou non-convulsive avec symptômes continus d’une durée de plus de 5 min, ou plusieurs crises successives sans récupération complète de l’état de conscience d’une durée total de plus de 5 min. Cette définition clinique implique une perte de contact avec le patient. Cliniquement, on différenciera les états de mal convulsifs des états de mal non-convulsifs, qui regroupent les états de mal partiel complexe ou généralises de type absence.
Quelques rappels de définitions
Status épileptique: chez les adultes et les enfants de > 5 ans. Se définit par “une crise épileptique convulsive/non convulsive de > 5mn avec symptômes continus ou plusieurs crises successives sans récupération complète de l’état de conscience. Status épileptique réfractaire: le status épileptique (SE) persiste malgé 2 doses de médication parentérale (incluant une benzodiazepine). Durée du SE indépendante. Le concept de Status épileptique réfractaire est apparu suite à une étude de Meldrum et al. (1) qui montre l’apparition de lésions neuronales irréversibles chez des babouins atteints de crise épileptique réfractaires au traitement au bout de 82mn. Le temps nécessaire chez l’humain à l’installation de dommages neurologiques permanents reste inconnu, d’où son absence au sein de la définition du status épileptique réfractaire, mais plusieurs études RCT de classe 1 suggèrent une durée bien plus courte pour l’apparition des lésions (5-10mn). (2) Status épileptique super réfractaire: SE persistant 24h après l’introduction d’une anesthésie appropriée. Inclus: SE persistant, SE récurrent après introduction d’une anesthésie et SE récidivant dès l’arrêt de l’anesthésie. L’anesthésie en question comprend des médicaments comme le midazolam, Propofol, pentobarbital, thiopental. Status épileptique réfractaire prolonge: SE persistant au moins 7 jours avec traitement approprié, mais sans nécessité d’anesthésie. Status épileptique super réfractaire prolongé: SE persistant au moins 7 jours et nécessitant une anesthésie (3) |
L’International League Against Epilepsy (ILAE) propose eux une classification basée sur l’origine du trigger (focal onset/generalized onset/unknown onset), et non sur les aspects cliniques (“conscient/inconscient ou convulsif/non convulsif”) du patient. (4)
A noter: “focal onset aware epilepsy” est anciennement connue sous le nom de crise partielle et “focal onset with impaired awareness epilepsy” est anciennement connue sous le nom de crise partielle complexe.
Complications du status épileptique
Neurologiques: lésions neuronales, afflux de calcium intracellulaire avec mort ou dommages intracellulaires, hypertension intracrânienne, protéinorachie.
Respiratoire: hypoxie, acidose respiratoire, œdème pulmonaire neurogénique, bronchopneumonie d’aspiration.
Cardiovasculaire: hypertension, hypotension, arythmies, infarctus du myocarde.
Métabolique: acidose lactique, hyperthermie, lactic acidosis, hyperglycémie, hypoglycémie.
Autre: rhabdomyolyse, leucocytose
Traitement et prise en charge
Le traitement précoce et agressif (dans les 5 premières minutes idéalement) du status épileptique est important au vu du risque d’apparition de lésions neuronale, mais aussi parce que l’efficacité des benzodiazepines diminue avec le temps, du a des modifications du fonctionnement des récepteurs GABA au cours de l’épilepsie. (6-7).
La première ligne de traitement est bien définie: benzodiazépines (c’est égal quel benzo, mais en cas d’absence de voie veineuse, préférer l’administration IM de midazolam (étude RAMPART (8), qui montre une cessation de l’épilepsie chez 74.3% des patients avec midazolam IM, versus 63.4% de cessation d’épilepsie avec lorazepam, p < .001) L’explication probable de cette différence est que l’administration de midazolam IM en l’absence de voie veineuse prend moins de temps que l’administration de lorazepam (1.2mn versus 4.8mn). Selon une étude prospective randomisée multicentrique en double aveugle datant de 2001, l’administration de diazepam IV est autant efficace que l’administration de lorazepam, mais bien plus efficace que l’administration d’un placebo. De manière surprenante, les patients qui ont reçu le placebo ont fait plus d’insuffisance respiratoire, supportant le fait que le status épileptique en soit compromet encore plus les voies respiratoires que l’administration de benzodiazépines à doses thérapeutiques. (9). Notre protocole recommande l’administration de clonazepam IV en 2 doses successives, ou de midazolam en 1 dose IM (voir tableau ci-dessous).
La deuxième ligne de traitement suit la première ligne, quand le status épileptique ne cesse pas et comprend à choix 4 médicaments antiépileptiques reconnus : la phénytoine, le valproate, le lévétiracetam (Keppra) et le phénobarbital. Les protocoles américains recommandent plutôt l’administration en premier lieu de phénytoine ou de valproate (par rapport au lévétiracetam) (10-15) et cela est du au fait qu’il n’y a pas d’étude robuste, prospective étudiant l’efficacité du lévétiracetam actuellement. (16-21). Cependant, le lévétiracetam reste utilisé en première intention en Europe et en Australie au vu de l’absence de contrindication majeure a son utilisation en bolus. Pour rappel, CI absolues du Valproate: grossesse, insuffisance hépatique, dysfonction mitochondriale. CI absolues phenytoine : insuffisance rénale, troubles du rythme cardiaque, hypersensibilité (CAVE: multiples interactions médicamenteuses). Une étude nommée “The Current National Institute of Neurological Disorders and Stroke funded ESETT trial” devrait être publiée en octobre 2019 et compare l’efficacité de la fosphenytoin avec le lévétiracetam et le valproate chez des adultes et enfants avec status épileptique non répondant aux benzodiazépines. C’est une étude de classe 1 RCT qui devrait mettre un terme aux discussions concernant quel antiépileptique utiliser en deuxième ligne de traitement. A noter qu’actuellement, le phénobarbital est encore considéré comme traitement de deuxième ligne en cas de non disponibilité des antiépileptiques précités.
La troisième ligne de traitement est administrée après l’échec des traitements de ligne 1 et 2, généralement après 30mn de status épileptique environ et comprend une anesthésie générale, généralement avec du propofol ou du midazolam et l’utilisation d’un curare en vue de l’intubation (CAVE succinylcholine si pas d’hyperkaliémie à la gazométrie uniquement, sinon rocuronium). Considérer antidote au rocuronium en post intubation pour ne pas masquer d’éventuels mouvements convulsivants (sugammadex). Il n’existe actuellement pas de RCT concernant un effet bénéfique de la ketamine dans la gestion des crises épileptiques, bien que cela soit supposé et qu’elle soit déjà utilisée dans certains grands centres pour la gestion du status épileptique. Une RCT pédiatrique nomme KETASER01 est actuellement en cours à ce propos et on attend avec impatience les résultats publiés en 2020. En cas d’intubation souhaitée : se référer au protocole interne de votre hôpital avec pré-oxygénation pré-intubation par VNI ou bag-mask avec PEEP. De manière générale, en cas de convulsions apnéiques ou de mise en danger des voies respiratoires à n’importe quel moment au cours du status épileptique, il est important de veiller à une bonne oxygénation du patient en administrant de l’oxygène via des lunettes ou un non-rebreathing mask, et d’évaluer l’indication à une intubation précoce.
CAVE: femmes parturientes dès la 24eme semaine de grossesse et jusqu’a 8 semaines post accouchement: penser à la pré éclampsie en cas de convulsions et administrer 4 gram de Mg IV. Si anamnèse de grossesse/accouchement non disponible : ad 4 mg Mg IV empiriquement.
Examens paracliniques : Glycémie, Hemo2, Na, K, créat, CRP, électrolytes, gazométrie. Au cas par cas: BHCG, toxscreen, dosage antiépileptiques, hémocultures, LCR, CT, IRM
Chercher l’origine de l’état de mal
Enfin, une fois que le tout est sous controle, il faut commencer a lancer vos recherches sur le pourquoi. La recherche d’une cause d’épilepsie est une oeuvre de longue haleine (pour un urgentiste, relativisons tout de meme 🙂 Un outil d’identification diagnostic développé par un confrère valaisan est actuellement disponible et bien utile:
Bibliographie
1: Meldrum BS, Horton RW. Physiology of status epilepticus in primates. Arch Neurol 1973;28:1–9.
2: Silbergleit R, Durkalski V, Loweinstein D, et al. Intramuscular versus intravenous therapy for prehospital status epilepticus. N Engl J Med 2012;366:591–600.
3: Lawrence J. Hirsch, Nicolas Gaspard, Andreas van Baalen, et al. Proposed consensus definitions for new‐onset refractory status epilepticus (NORSE), febrile infection‐related epilepsy syndrome (FIRES), and related conditions, Epilepsia, April 2018, Vol 59, issue 4, Pages 739-744.
4: Robert S. Fisher, J. Helen Cross, Jacqueline A. French, et al. Operational classification of seizure types by the International League Against Epilepsy: Position Paper of the ILAE Commission for Classification and Terminology, epilepsia, April 2017, Vol 58, issue 4.
5: Blog “life in the fast lane”
6: S. Legriel, B. Mourvillier, N. Bele et al. Outcomes in 140 critically ill patients with status epilepticus, Intensive Care Medicine, 2008, vol. 34, no. 3, pp. 476–480.
7: A. R. Towne, J. M. Pellock, D. Ko, and R. J. DeLorenzo. Determinants of mortality in status epilepticus. Epilepsia, 1994, vol. 35, no. 1, pp. 27–34.
8: Silbergleit R, Durkalski V, Loweinstein D, et al. Intramuscular versus intravenous therapy for prehospital status epilepticus. N Engl J Med 2012;366:591–600.
9: Alldredge BK, Gelb AM, Isaacs SM, et al. A comparison of lorazepam, diazepam, and placebo for the treatment of out-of-hospital status epilepticus. N Engl J Med 2001;345:631–7.
10: Agarwal P, Kumar N, Chandra R, et al. Randomized study of intravenous valproate and phenytoin in status epilepticus. Seizure. Sept2007; 16(6):527-32.
11: Treatment of convulsive Status Epilepticus in Children and Adults” Epilepsy Currents 16.1 – Jan/Feb 2016
12: James Lee, Linda Huh, Paul Korn, et al. Guideline for the management of convulsive status epilepticus in infants and children, BCMJ, Vol 53, No6, July August 2011.
13: Tracy Glauser, Shlomo Shinnar, David Gloss, et al. Evidence-Based Guideline: Treatment of Convulsive Status Epilepticus in Children and Adults: Report of the Guideline Committee of the American Epilepsy Society. Epilepsy Curr. 2016 Jan-Feb; 16(1): 48–61.
14: Nottingham University Hospitals Guidelines Jan 2018
15: New status epilepticus guidelines (podcast), American epilepsy society 2016
16: Abend NS, Monk HM, Licht DJ, et al. Intravenous levetiracetam in critically ill children with status epilepticus or acute repetitive seizures. Pediatr Crit Care Med. 2009;10:505–510.
17: Aiguabella M, Falip M, Villanueva V, et al. Efficacy of intravenous levetiracetam as an add-on treatment in status epilepticus: A multicentric observational study. Seizure. 2011;20:60–64.
18: Alvarez V, Januel JM, Burnand B, et al. Second-line status epilepticus treatment: Comparison of phenytoin, valproate, and levetiracetam. Epilepsia. 2011;52:1292–1296.
19: Goraya JS, Khurana DS, Valencia I, et al. Intravenous levetiracetam in children with epilepsy. Pediatr crit care Med 2008;38:177–180.
20: Ruegg S, Hunziker P, Marsch S, et al. Association of environmental factors with the onset of status epilepticus. Epilepsy Behav. 2008;12:66–73.
21: Santamarina E, Toledo M, Sueiras M, et al. Usefulness of intravenous lacosamide in status epilepticus. J Neurol. 2013;260:3122–3128.
22: Vincent Alvarez, M. Brandon Westover,Frank W. Drislane, et al. Evaluation of a clinical tool for early etiology identification in status epilepticus. Epilepsia 2014 Dec. 55(12): 2059-2068